S'interrogeant sur la possibilité d'une Société des Nations ou d'une unification de l'espèce humaine (le cosmopolitisme), Kant suppose un dessein caché de la nature qui pourrait conduire à ce que, un jour, l'humanité se donne des lois uniques malgré l'égoïsme des individus et des nations. Pour que la raison prévale, il faudrait que l'histoire humaine soit pensée comme un système, et cette pensée, dit Kant, commence en Grèce. Les grands philosophes qui lui ont succédé, de Hegel à Heidegger et Valéry, ont tous réaffirmé cette origine de la pensée historique dans la mémoire gréco-européo-occidentale. Mais peut-on vraiment affirmer l'universalité du genre humain, tout en l'assignant à une source unique dont proviendraient l'histoire, la philosophie, le droit et la démocratie? Il apparaît aujourd'hui que les langues et les cultures non-européennes s'approprient cette tradition, lui découvrent d'autres sources et inventent de nouveaux modes de pensée. Au fond, la pratique culturelle de l'appropriation / expropriation / aliénation est d'essence coloniale.

Ce n'est ni en intériorisant la mémoire de l'autre, ni en la rejetant, ni en opposant européisme et anti-européisme, qu'on peut aller vers cette idée kantienne, le cosmopolitisme. Il y a une autre voie : l'hybridation.