Sarah Kofman cherche à démontrer que Nietzsche n'est pas l'ennemi des Juifs, il est même le plus grand contempteur des Allemands. Selon lui, la Loi appartient aux forces affirmatives et agressives de la vie, et les Juifs, en tant que peuple de la Loi, participent à cette puissance positive. La figure de Saint Paul illustre par la négative la dimension "sublime" de la Loi juive. Tourmenté, superstitieux, rusé, avide de domination, Saint Paul aurait aimé accomplir la Loi. Il était à l'affût de ceux qui la transgressaient. Mais lui-même était dévoré par les passions les plus basses. Il vénérait la Loi mais la haïssait, il la défendait mais ne pouvait pas supporter la torture de l'inaccomplissement. En détruisant la Loi, Jesus le sauvait de cette aporie. En spiritualisant la Loi, il l'anéantissait, et faisait de Saint Paul le plus heureux des hommes : le "docteur de la destruction de la Loi" (Nietzsche). La Loi est là pour le péché. Avec le Christ, la faute en soi est anéantie, le désir charnel peut mourir. Méconnaissant toute borne, Saint Paul s'est imaginé faire un avec le Christ. Dans cette communion impudique avec le Père, qui abolissait toute barrière, il se livrait à une débauche de splendeurs divines. En faisant l'économie du judaïsme, en échappant à la Loi, il espérait supprimer la transgression, le péché et la chair qui le tourmentait.

La circoncision symbolise l'alliance du peuple juif avec ce Dieu qui impose une loi impossible, insurmontable, une transcendance absolue. Le Juif ne peut qu'en être coupé, comme il est coupé de Dieu, sans espoir de réconciliation, d'union ou de communion. C'est cette coupure, cette séparation nécessaire vis-à-vis d'une Loi aporétique, qui fait horreur à Saint Paul. Détruire la circoncision (ou détruire ce peuple de circoncis, comme a voulu le faire Hitler), c'est s'emparer de l'élection, mais sans la circoncision, c'est-à-dire sans l'alliance et sans la loi.