Pour les anciens Grecs, la vérité se disait aléthéia. Ceux qui, aux Enfers, avaient traversé le fleuve du Léthé, n'en revenaient pas. L'oubli était définitif. Mais il y avait de rares exceptions - comme Achille ou Ulysse, dont on se souvenait grâce aux poètes ou aux récits relatant leur gloire. Seuls ces revenants étaient privés d'oubli (a-léthéia). C'est leur renommée que nous traduisons par vérité. Il a fallu aux premiers astronomes présocratiques d'immenses efforts pour faire prévaloir la fidélité aux faits ou la nécessité du raisonnement. C'est eux qui ont logé la vérité dans la maison où elle habita par la suite, celle des tribunaux où l'on exige des preuves. Ils ont souvent été condamnés. Le public préférait croire les exploits de tel ou tel héros ou les récits magiques des voyageurs.

En même temps le monothéisme rejetait les dieux fabriqués à l'image de l'homme. Il faisait du dieu absent, transcendant et inaccessible l'unique producteur de la vérité.

Nous héritons de ces deux traditions, mais la gloire, par l'intermédiaire des médias et des moyens de communication, menace toujours la vérité. C'est elle qui fait le lien social et l'espace public, qui fait tenir les démocraties et qui fait entendre sa musique monotone. Rien n'a changé sur ce point.