Entre 650 et 450 avant J-C, à l'époque de l'émergence du mythe d'Orphée, les cités grecques se mettent à écrire. Le mythe raconte les effets de sa voix. Mais le personnage d'Orphée porte aussi une autre dimension, celle des écrits, les écrits orphiques. Au centre de l'orphisme, il y a co-présence de la voix et du livre. Si son chant fascine autant, c'est aussi parce qu'il a apporté l'écriture aux hommes.

Dès le départ, avant la parole, devant les animaux du silence, l'écriture est déjà là, habitée par cette voix. On entend autour du chant le tumulte des livres et des discours. Il est le fondateur de la culture. Dès que sa voix pénètre au-delà des guerriers thraces, elle se fait, sans intermédiaire, livre, écriture multiple.

Une voix qui se chante et s'écrit mais ne se parle pas n'est pas tout à fait une voix. Elle est en-deça, car il lui manque la dimension intersubjective. Orphée a été amoureux, il a été séducteur et séduit, mais il n'a jamais été sujet. Il est l'homme d'un temps antérieur au sujet, un temps où la parole n'est pas encore articulée mais déjà écrite.

Marcel Détienne fait allusion dans son texte à Jacques Derrida qui, selon lui, ouvre le domaine de l'écriture jusqu'à la voix, postulant une sorte de transcendance de l'Ecrire. N'est-ce pas ainsi que l'écriture a été vécue, dans le temps de son émergence, en pays grec? Un medium qui inscrit directement les secrets sur le papyrus.