Les descriptions de Francis Ponge sont doubles :

- ce sont des phrases autoritaires, péremptoires, assertives. Exemple : Que sont les Gorges de la Chiffa [en Algérie]? "Un lait d'argile, une tisane de sable". Voilà qui est simple, tranché - dans une forme littéraire reconnue, légitime. Avec cette phrase singulière, l'écriture s'arrête. L'auteur impose sa signature, il affirme sa résolution, sa décision. L'oeuvre, intacte, peut s'instituer et accéder à un statut social.

- les hésitations, les recherches, les ratures sont exhibées. A partir d'une certaine date, lorsqu'il se sent assez sûr de lui, Ponge publie aussi ses brouillons, ses esquisses, ses approximations, comme si le texte en train de s'écrire avait autant de dignité que le texte fini, publiable, comme si l'expérience d'écriture, l'affect en mouvement, comptait autant que le texte, comme si l'impression ne pouvait jamais s'installer dans un présent monumental, comme s'il fallait témoigner d'une dette infinie. L'auteur reconnaît avec franchise que ses textes ne sont que des métaphores. Malgré tous les efforts de description, la chose reste hétérogène.

En publiant et signant ses ratures, Ponge les fait accéder elles aussi au statut d'oeuvre. S'appuyant sur sa légitimité d'écrivain reconnu, il les légitime, il s'auto-légitime.