Le mot hébreu mila signifie à la fois circoncision, coupure dans la phrase, dans le corps, et aussi mot. C'est un rituel fondé sur la faille, la brisure. Au moment où on retranche le prépuce, on récite des versets du Livre d'Osée qui sont tous au féminin : "Je t'ai vue dans le sang...", "Par ton sang, tu vivras..." (au féminin). Le mot nekeva, qui signifie féminin en hébreu, signifie aussi oblitération, creux. Dans le corps du garçon est placé un vide qui n'est pas une castration, mais au contraire une autre sorte de phallicisation : le retrait, la relation à plus grand que soi, "la recherche d'un autre que soi, la quête d'un coupé-de-soi avec qui l'on ne fera jamais Un" (p105).

Par ce geste "en moins", le petit garçon juif entre dans la communauté. Ce marqueur d'identité, d'appartenance, est fondé sur un geste de coupure, un manque qui rappelle d'autres manques, dont celui du Temple de Jérusalem. Le judaïsme s'est construit sur la brisure d'un monde passé, une faille, une cassure qui ne cherche pas à être colmatée. A chaque mariage, on brise un verre, et c'est cette incomplétude qui tient lieu de fondement. Sur ces ruines, l'identité juive s'édifie, le peuple se met en mouvement. Cette invisible dislocation garantit la pérennité du judaïsme.