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Sources (*) : La voix présente agit               La voix présente agit
Bendito Sapintza - "Faisances et desfaisances de l'art", Ed : Galgal, 1988-2013, Page créée le 20 mars 1997

 

M.L. Illusion (F. Shigeo, 1971) -

Autres controverses du Quai

La voix est la puissance d'agir propre au langage

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Extrait du récit mythique du Galgal.

Il était rarissime qu’on cite nommément des auteurs. On ne se gênait pas pour emprunter leurs idées, les développer et les approfondir dans le contexte propre de la rue de la Lune, mais on les désignait rarement par leur nom. La principale raison de ce curieux comportement était liée à une conception du savoir dans laquelle toute forme de propriété était effectivement abolie. Si les idées appartenaient à tout le monde, alors chacun pouvait les évoquer autant qu’il le voulait, les intégrer à sa propre lignée et les transmettre dans une filiation dont il n’était que l’un des maillons, et qui pouvait être désignée, entre autres, par son nom à lui, car le premier maillon (le nom originaire) n’avait désormais plus aucune importance. Mais cela n’était qu’une des explications. Il y avait peut-être aussi une certaine forme de pudeur, une prudence qui conduisait à éviter d’intégrer de force dans le gran’faire un auteur qui n’en avait certainement jamais entendu parler. On pouvait s’inspirer de ses idées ou de ses textes, mais le faire entrer tout entier dans un univers apparu des années, des décades ou des siècles après sa mort, cela apparaissait comme une sorte de viol. Mais il se pouvait aussi que ces raisons n’aient été que des prétextes, ce qui conduisait à bon droit bien des observateurs à considérer que la construction même du gran’faire consistait en une sorte de pillage à grande échelle, une récupération indistincte de toutes les idées et notions qui pouvaient alimenter la réflexion du Cercle, quelle que soit leur origine.

Bendito n’agissait pas différemment. Tout le monde savait qu’un auteur très connu coulait dans ses veines, inspirait chacune de ses phrases et persévérait à travers lui dans son être. Pourtant il ne le citait pas, il se contentait de le poursuivre autant qu’il le pouvait, more geometrico. C’était l’hommage le plus sincère qu’il pouvait lui rendre, un hommage auquel le gran’faire lui-même était imputable. Quand par exemple, ce dimanche, Bendito Sapintza énonça l’un de ses dires princeps, La voix est la puissance d’agir propre au langage, nul n’ignorait la source, et nul n’ignorait que le scribe de la rue de la Lune s’était donné pour tâche de poursuivre l’oeuvre entreprise quatre siècles auparavant sous le nom de l’Ethique. Mais ces quatre siècles n’avaient pas été stériles, et Sapintza introduisait une nouveauté radicale dans le système des axiomes et des propositions, il y intégrait ce que le prodigieux philosophe avait négligé : le langage. Prendre en considération le langage dans sa puissance d’action positive lui paraissait la tâche la plus noble et la plus adéquatement vraie. C’est ainsi que Sapintza avait peu à peu réussi à fabriquer ce qui n’avait aucune place dans la construction d’origine : sa propre voix. Cette voix était la sienne, bien sûr, mais c’était aussi l’affirmation d’une voix c’est-à-dire, dans la logique même du système, d’une puissance dépourvue de négativité. Ainsi Sapintza réparait-il sa faute. D’une part il trahissait son auteur en intégrant le langage dans l’Ethique, mais d’autre part il lui restait fidèle en récusant toute causalité du manque ou du vide, ce qui n’était pas sans entraîner de fortes oppositions dans le Cercle, car le Cercle, comme tout courant de pensée de notre époque, ne manquait pas de thuriféraires du vide.

 

 

- La voix est un attribut de dieu, autrement dit dieu est chose signifiante dit Bendito Sapintza. Cette proposition est à ajouter dans le second livre de l’Ethique. Dans sa forme initiale, l’Ethique distingue deux substances : la pensée et l’étendue. Mais nous savons à présent que ces deux dimensions ne sont pas suffisantes, il en faut trois, et la troisième substance, dont le statut est équivalent aux deux autres, est la langue. En reprenant le vocabulaire du grand philosophie, on peut dire ceci : la voix est un attribut de dieu. Que signifient ces mots? Ce qu’ils signifiaient à l’époque : J’entends par attribut ce que l’entendement perçoit d’une substance comme son essence. Et aussi : Dieu est ce qui existe par la seule nécessité de sa nature. Cela, l’entendement humain le perçoit par la pensée, par l’étendue, mais aussi par la langue, une substance qui n’est, comme les autres, connaissable que par son attribut : la voix. La substance signifiante est aussi positive que l’étendue ou la pensée, elle possède la même puissance d’agir, elle a la même existence éternelle et infinie, et elle ne met pas en question le monisme. Mais faut-il que nous employions les mêmes mots qu’il y a quatre siècles? Peut-être que oui, peut-être que non.

Pour Bendito, l’oeuvre de l’excommunié d’Amsterdam n’était pas achevée. Il lui revenait à lui (et il reviendra à beaucoup d’autres encore après lui) d’ajouter sa pierre, voire de compléter l’architecture. Faisant cela, il ne trahissait pas, au contraire! il faisait vivre l’Ethique.

- Si je comprends bien dit Paul Uryos, tu mets le langage sur le même plan que les idées ou les choses. En plus de l’âme et du corps, tu poses l’existence d’une troisième dimension, la dimension du verbe.

- Appelle-la comme tu veux répond Sapintza, moi j’ai parlé de la langue, et j’ai parlé de la voix. La voix est chose signifiante.

- Mais la voix vient du corps! dit Paul Uryos. La voix est substance corporelle!

- Pourtant elle s’en sépare répond Sapintza, c’est la condition de son existence propre. La voix ne devient voix qu’en se détachant du corps.

Valentin Servanne avait noté sans rien dire la proposition de Sapintza, La voix est la puissance d’agir propre au langage, pour l’intégrer dans la lignée Bendito. Intégrer des propositions dans des lignées était un acte qu’il accomplissait plusieurs fois par jour, sans émotion apparente, et sans penser que cela pourrait bouleverser le gran’faire, et encore moins l’univers. Il l’accomplit donc une autre fois ce jour-là. Pourtant il ne fut pas sans remarquer que Bendito l’avait prononcée avec une certaine solennité, comme si cette proposition-là devait avoir vocation à ouvrir une nouvelle catégorie de débats.

Paul Uryos était resté plusieurs minutes replié sur lui-même, sans rien dire.

- Et comment la voix agit-elle? finit-il par demander.

- Elle dispose d’une puissance d’agir qui lui est propre. Cette puissance, je ne suis pas capable de la définir complètement. Je ne peux qu’en donner quelques vagues formules, par exemple celle-là : elle va vers l’autre. Ce n’est pas nous qui, par elle, allons vers l’autre, c’est elle. La voix est la capacité humaine à aller vers l’autre. Pour exprimer cela, on peut utiliser le vocabulaire d’il y a quatre siècles : la voix est l’essence active de dieu. Mais on peut aussi utiliser toutes sortes d’autres vocabulaires.

Paul Uryos sembla se replier encore plus profondément en lui-même, comme si la perspective de poursuivre l’oeuvre du grand philosophe, sans lui et sans ses mots, le terrorisait.

- Si vous le désirez dit Bendito, nous nous retrouverons de temps à autre en fin d’après-midi afin d’évoquer les conséquences de ce que j’ai énoncé aujourd’hui.

Cette fois, c’était une annonce, une vraie; c’est ainsi que commencèrent les causeries qui prirent ultérieurement le nom d’Evocations Sapintziennes.

 

Supposons un langage sans voix (un langage qui n'aurait ni voix ni rien d'analogue susceptible de remplir cette fonction). Qu'est-ce que ça pourrait être? Un code? Non, car à quoi servirait un code que personne ne pourrait utiliser? Un système de signes? Même pas. Car qui serait capable de dire que ces traits sont des signes? Non, ce langage ne serait même pas un langage, ce ne serait qu'un tas d'ordures voué à l'oubli qui précède la destruction. Spinoza affirme que les substances sont en nombre infini. En ce qui le concerne, il n'en décrit que deux : la pensée et l'étendue. C'est déjà beaucoup! Si nous, nous en décrivons une troisième, nous avons de quoi nous occuper quelques siècles! Cette troisième substance, je l'appelle le signifiant. On pourrait l'ajouter à l'Ethique sans trahir Spinoza. Elle a un attribut, le langage, et un mode, la voix. Sans la voix, aucun langage ne peut agir, et sans langage, le signifiant est inaccessible. Chaque substance a sa propre puissance d'agir, et parmi celles-ci la voix, spécifique à l'espèce humaine, est plus centrale que jamais.

 


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