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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | |||||||||||||||||
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L'écranophile en voix off | L'écranophile en voix off |
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Sources (*) : |
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CinéAnalyse : en pleurant, implorant, qui? | CinéAnalyse : en pleurant, implorant, qui? |
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Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page créée le 6 décembre 2022 - |
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CinéAnalyse : en jouant du sacrifice | Saint Omer (Alice Diop, 2022) - À une exigence de fidélité venue d'ailleurs, des ascendants ou d'Afrique, on ne peut répondre que par un sacrifice, ou à défaut en pleurant |
CinéAnalyse : en jouant du sacrifice |
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CinéAnalyse : duplicité du mal, irréparable et réparable | CinéAnalyse : duplicité du mal, irréparable et réparable |
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CinéAnalyse : autohétérobiographies | CinéAnalyse : autohétérobiographies |
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« J’ai déposé ma fille sur la plage avec l’idée que la mer emporte son corps », telle est la phrase qui aurait convaincu Alice Diop de faire ce film. C’est une phrase sacrificielle : la fille a été offerte à la mer, qui est aussi la mère. « Elle a offert son enfant à une mer/mère toute- puissante » interprète Alice Diop. Cette phrase a été écrite par la journaliste du Monde Pascale Robert-Diard à propos de l’assassinat commis par Fabienne Kabou sur sa petite fille de 15 mois, Adélaïde, abandonnée le 19 novembre 2013 à marée basse, sur la plage de Berck-sur- Mer. Cet acte effroyable jugé à Saint Omer1 [Sainte ô mèr(e)]2 en juin 2016, lors d’un procès auquel Alice Diop a assisté3, est sous-jacent au film qui reprend plus d’une fois le verbatim du procès. Or qui est celle qui prononce cette phrase, J’ai déposé ma fille sur la plage avec l’idée que la mer emporte son corps ? C’est Fabienne, la mère, cette mère qui sacrifie sa fille à sa propre mère, une mère qui est plus qu’une femme, qui est une mer toute-puissante venue des profondeurs, une mère africaine, l’Afrique elle-même, à laquelle elle s’identifie elle aussi. Tout ce passe comme si, en punition d’une faute indéterminée, imprononçable, la fille devait revenir dans le corps de la mer/mère, cette mère qui ne lui donne pas le droit de vivre, qui fait d’elle une femme ou une petite fille déjà morte. Après avoir rompu avec son père, avec sa mère, Fabienne s’auto-confine chez un homme blanc, absent, qui par son âge pourrait être son père mais ne l’est pas (puisque son père est africain). Elle s’extrait elle-même de la société, des études qu’elle voulait faire, de la famille qui l’accueillait à Paris. Ayant tout balayé autour d’elle, n’ayant plus de monde4, plus de lieu où habiter, il ne reste plus à cette mère (Fabienne) qu’à se sacrifier elle-même. La mère, comme telle, ne survit pas à cet acte. Elle est elle aussi sacrifiée. Pourquoi ce sacrifice ? Pour s’acquitter de quelle dette, à l’égard de qui ? La mère est le redoublement de la mer qui emporte l’enfant avec elle. Tel est le premier d’une longue série de redoublements : l’actrice Guslagie Malanda5 qui joue le rôle de Laurence Coly, laquelle est et n’est pas Fabienne Kabou6, l’actrice Kayije Kagame qui joue le rôle de Rama, laquelle pourrait se tenir à la place de la scénariste Marie Ndiaye7 ou de la réalisatrice Alice Diop8 qui semble elle-même s’identifier à Marguerite Duras9, etc. Il y a dans ce film des séries de poupées russes qui contribuent à troubler sa signification, à démultiplier son sens. Une romancière (Rama) assiste au procès d’une infanticide (Laurence) dans la perspective d’utiliser son cas pour ses travaux d’écriture. Mais la mère de Laurence ressemble à la mère de Rama, et il se trouve que cette dernière est sur le point de devenir mère10. Toutes les quatre sont rattachées au Sénégal, elles appartiennent et n’appartiennent pas à la culture dominante (française) dont elles sont pourtant des détentrices exemplaires, puisque Rama enseigne à l’université, et que Fabienne/Laurence maîtrise parfaitement la langue et ses codes. Le trouble sur l’identité est au moins double : sur la maternité, incertaine, et sur la culture, incertaine elle aussi. Ces femmes détiennent un savoir qu’elles savent menacé, un savoir qui peut être emporté, comme un enfant, par la mer. Alors, elles pleurent11. |
Les pleurs de Rama.
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Tuer son propre enfant, qu’on aime, y a-t-il quelque chose de pire ? Certainement pas, et pourtant le doute s’installe. Cette mère qui assassine son enfant avec préméditation12 pourrait être moins anormale qu’il n’y paraît. On se rassure en disant Elle est folle. Si elle est folle, c’est qu’elle n’est pas comme moi, je suis peut-être à l’abri de cette folie, mais néanmoins elle est Sénégalaise, comme moi, ou bien elle est mère, elle est maman, comme moi. Les hommes sont plus ou moins exclus de cette série d’identifications, et pourtant l’émotion nous saisit comme elle saisit Rama, et aussi Laurence. Si Laurence a tué, c’est parce qu’elle a entendu des voix, des hallucinations. C’est peut-être vrai ou peut-être pas, puisqu’elle ne cesse de mentir. Elle prétend avoir des diplômes qu’elle n’a pas, elle prétend faire une thèse sur Wittgenstein13 alors qu’elle n’est pas doctorante, elle prétend avoir téléphoné à des voyants, elle en donne la liste (ce qui montre qu’elle y croit vraiment), et aucun des voyants ne confirme. Elle n’a donc pas vraiment menti, elle a parlé sincèrement – ce qui prouve la folie. Elle a menti sans mentir, tout en disant la vérité, mais il est un point sur lequel elle n’a pas menti, et qui n’est pas fou non plus, c’est sa douleur de femme. Isolée à Paris, elle n’a pas réussi à s’adapter à cette autre culture avec laquelle elle était pourtant en relation depuis l’enfance. Accouchant dans la solitude, elle n’a pas réussi à se croire une vraie mère, mais elle est aussi la mère, la mère dans sa vérité à laquelle toutes les femmes (toutes les mères) peuvent s’identifier. Laurence a l’impression qu’elle n’a rien reçu, rien retenu de ses parents, de son père fonctionnaire international en voyage perpétuel14 et de sa mère attentionnée quoique sans affect, ambitieuse pour elle quoique sans empathie ni amour. On ne peut pas transmettre ce qu’on n’a pas reçu. Elle a donné un prénom à l’enfant, Élise dite Lily, mais pas de nom de famille. Puisqu’Élise ne reçoit rien, c’est qu’elle n’est rien. Puisqu’elle n’a pas été déclarée à sa naissance, puisque ni l’administration ni personne d’autre n’est au courant de son existence (pas même sa grand-mère15), puisqu’aucun père ne l’a reconnue, c’est qu’elle n’existe pas. La bénédiction qui aura manqué à Laurence manquera aussi à Élise. Laurence entendait des sorts, elle se croyait envoûtée, maudite ainsi que sa fille. Elle aurait voulu répondre avec les mêmes moyens, sorcellerie et maraboutage, mais ces moyens n’existaient pas non plus. Peut-être auraient-ils pu exister là-bas, au Sénégal, mais elle a accepté d’être Française, de le devenir. L’Afrique insiste, revient en elle à travers ses silences16, alors il faut à la fois l’incorporer et l’arrêter, l’intérioriser et s’en défaire17. Elle voulait croire qu’en se débarrassant d’Élise, elle se débarrassait de l’Afrique, mais désormais les deux l’habitent, irrémédiablement, et l’Afrique exige son dû. Laurence est-elle folle, comme le soutiennent le psychiatre18 et l’avocate, ou cynique, mauvaise, comme le prétend le procureur ? Elle brouille la frontière entre la folie et le mal19. Aux prises avec ses hallucinations, elle n’est plus gouvernée par l’éthique courante mais par une autre éthique inimaginable, mystérieuse, à laquelle elle-même ne comprend rien20. Que peut-on faire à la fin du film, si ce n’est pleurer ? Dans ce film de femmes (réalisation, scénario), de personnages féminins (l’avocate, la présidente, la jurée), d’accouchement solitaire, de naissance et de vie nue, le corps est omniprésent. Il est insupportable de sacrifier un jeune enfant, mais on comprend, fût-ce inconsciemment, que ce n’est pas un choix mais une obligation, un devoir. L’exigence est indéniable, imparable, autant qu’imprononçable, imprononcée. On ne peut rien en dire, mais on peut toujours pleurer. Rama pleure, les jurés pleurent, la présidente de la cour d’assise21 se retient de pleurer, nous sommes tous emportés par les sanglots de Laurence. Alice Diop a assisté, en 2016, au procès de Fabienne Kabou22. Le sacrifice s’est inscrit dans sa mémoire et dans sa chair. Les fantômes de ses parents morts lui sont alors revenus à l’esprit. Ils auraient pu, dans un cauchemar analogue à celui de Rama dans le film, exiger d’elle un sacrifice. Ne parlant pas le wolof mais le français, elle ne pouvait pas leur donner satisfaction, mais le personnage fictif de Laurence lui a servi de substitut23 ou d’exutoire. On ne peut pas toujours pleurer, mais on peut œuvrer. Le film est une autobiographie qui raconte l’histoire d’une autre comme si c’était la sienne : une auto-hétéro-bio-graphie. Elle prolonge l’expérience des huit documentaires réalisés jusqu’alors, qui prennent eux aussi une place sacrificielle. La mort d’Adélaïde restera, pour toujours, associée à son nom. Entre mère infanticide et envoûtement, entre folie et crime, entre voix africaines et justice française, l’histoire brouille les frontières, mais ce n’est qu’une histoire, un fait divers, une fiction. Mieux vaut pleurer que franchir l’interdit, succomber à la terreur. |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Films CinemaChrono 2022.DI.OPD ProPleursHF.LLO CineSacrificeLU.LLO ProTotalitarismesDO.LLK AlloBioCineDF.LDD zm.Diop.2022 Rang = YDiopStOmerGenre = MH - NP |
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