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Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page créée le 6 décembre 2020

 

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CinéAnalyse : en donnant corps à un pas - au - delà de l'être

La fiancée du pirate (Nelly Kaplan, 1969) - Porter à l'excès la logique de l'échange pour faire un pas au-delà, le dernier pas, indifférent à l'échange

CinéAnalyse : en donnant corps à un pas - au - delà de l'être
   
   
   
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Marie n'est pas engagée. Comme en témoignent les affiches qu'elle colle aux murs, elle n'ignore pas le combat des femmes, mais le féminisme n'est pas son problème. Son arme à elle n'a rien à voir avec la dénonciation ou la revendication, c'est la ruse. Exposée depuis sa plus petite enfance au désir masculin, elle ne se dresse pas frontalement contre le pouvoir phallique ou ce qu'il en reste, elle s'en sert, elle le détourne à son profit. Elle ne se voit pas elle-même comme une victime, mais comme une personne qui doit trouver sa place. Elle est étrangère à la plainte, la frustration ou la haine, mais pas au mépris. Connaissant parfaitement le fonctionnement de ce petit monde, son but est d'en tirer parti. Elle ne se venge pas, elle se moque; elle ne détruit pas les gens, elles les contourne. Nelly Kaplan a déclaré à propos de ce film : « [c'est] l'histoire d'une sorcière des temps modernes qui n'est pas brûlée par les inquisiteurs, car c'est elle qui les brûle. » Elle les brûle, mais sans violence ni inquisition. Elle les brûle en les prenant par le bout de leur désir, en se servant comme une mèche du feu qui brûle en eux. Les hommes ne lui paraissent pas pires que les femmes : elles les met tous sur le même plan. Cela conduit à quelques comparaisons :

1. au mouvement #metoo. Ne se posant ni comme victime, ni comme souffrante, elle ne cherche pas d'autres femmes avec qui s'allier, ne fait jamais appel aux autorités (ni la gendarmerie, ni l'évêché), ne fait la leçon à personne (ni morale ni politique) et ne cherche pas à mettre à son service l'espace public. Pire encore : elle pratique la prostitution sans honte, ni plaisir ni déplaisir, comme si l'usage qu'elle en fait suffisait à la purifier.

2. au Marchand de Venise. Marie n'est pas juive comme Shylock, elle est romanichelle ou considérée comme telle, elle n'est pas riche mais misérable, mais son statut justifie chez les bonnes gens la même réprobation. À sa façon, comme Shylock, elle change les règles du jeu. Au lieu d'échanger de l'argent contre une livre de chair, elle échange son corps, sa propre chair, contre de l'argent. Cet échange dissymétrique, inimaginable pour les autres, lui donne le pouvoir de transformer les règles du jeu. Alors que Shylock, qui fait appel aux lois de la cité, finit par échouer, elle réussit en suscitant chez les autres une dette qu'ils sont incapables de rembourser.

3. à d'autres films dits transgressifs de la même époque. Alors que le film de Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch, L'an 01 (1972), qui semble révolutionnaire, détruit l'échange mais enferme la cité dans un monde circulaire, sans avenir, elle fait de l'échange son allié pour s'en libérer et s'ouvrir un avenir.

Dernière image du film : la marche de Marie pieds nus, au-delà du village. Elle a tout organisé pour cette marche, ce pas en avant, ce "pas au-delà" - mais elle ignore où elle va et ce qu'elle va faire.

 

 

Le film est dans l'échange, étranger à l'échange, et encore autre chose, au-delà de l'un et de l'autre.

a) Avant la mort de sa mère, tout le monde profitait gratuitement des services et du corps de Marie. A partir du moment où elle prend son indépendance et récupère l'unique bien de sa mère, sa maison dans les bois, Marie peut jouer sa propre partition. Contrairement à Cendrillon, elle n'a pas besoin de prince pour la délivrer. Ses talents amoureux suffisent pour que la population du village entre dans sa dépendance. Pas question pour elle de quitter cet endroit démunie, sans argent. Il faut qu'elle les pille pour commencer une nouvelle vie. L'avantage, avec l'argent, c'est qu'elle peut l'emporter dans son sac à main. Mais l'échange ne se limite pas à la dimension monétaire. : le bien charnel qu'elle leur aura fait l'autorise à faire du mal dans la même proportion. Elle n'a pas besoin du mensonge, la vérité lui suffit pour les ridiculiser : faire connaître leurs petits secrets, trahir leur faiblesse et leur médiocrité.

b) Le bric-à-brac coloré qu'elle entasse au fur et à mesure qu'elle gagne de l'argent ne lui sert strictement à rien. C'est une manière de marquer son mépris pour leur utilitarisme. Comme n'y a ni électricité ni confort dans sa cabane, les ampoules, séchoir à cheveux, machine à coudre, téléphone et tutti quanti, ne servent strictement à rien. C'est un pur amoncellement, une accumulation improductive. Comme les habitants du village, les objets de consommation deviennent directement des déchets (sans transition). Ils ont fait du bouc une victime, un bouc émissaire. Avant de sacrifier ses richesses, elle va enterrer l'animal avec dignité, mais les villageois ne méritent ni dignité, ni rituel.

c) Et finalement ce qui compte, c'est le dernier moment, le "pas au-delà". Que reste-t-il quand on laisse tomber cet univers minable ? Un film. C'est le panneau qu'elle rencontre à la sortie du village. La fiancée du pirate est son histoire à elle, elle n'a pas besoin d'aller le voir, elle en connaît l'issue, et cette histoire reste, nous la racontons encore. André, son seul ami, est un cinéphile, un projectionniste ambulant qui visite la région. D'abord client, il l'aide et la soutient. Peut-être y a-t-il là une certaine résonance avec la vie de Nelly Kaplan elle-même, arrivée à Paris démunie et sauvée par le cinéma. La rencontre d'André par Marie en 1968 (date de tournage) serait une réminiscence de la rencontre d'Henri Langlois par Nelly, en 1953 - mais le film est une œuvre, sa dimensin autobiographique ne se ferme par sur une circularité.

Les notables du village prétendent que quand Marie et sa mère sont arrivées à Tellier, nomades et sans-papiers, elles y ont été généreusement accueillies et adoptées. En réalité, elles y ont été exploitées pour les travaux les plus pénibles. Sur la jeune Marie, certains d'entre eux exerçaient une sorte de droit de cuissage, notamment la riche fermière Irène, lesbienne.

Un jour, la mère de Marie se fait écraser par un chauffard. Les habitants potent la morte dans la cabane misérable où elle vit avec sa fille. Il y a Le Duc, premier adjoint à la mairie, le pharmacien M. Paul dit La Tisane (un herboriste à la limite de l'escroquerie), le garde-champêtre Duvalier (obsédé sexuel), l'abbé Dard (qui craint plus que tout de déranger sa hiérarchie). Sur le cadavre encore, ils discutent de la solution la moins coûteuse, et décident de déclarer le décès comme « mort naturelle ». Aucun d'eux ne veut d'une enquête de la gendarmerie qui risquerait de révéler les conditions dans lesquelles tout Tellier maintenait les deux femmes. Marie refuse de céder aux offres d'inuumation. Elle se rebelle et conserve le cadavre dans la cabane. La nuit suivante, elle attire les hommes à grand renfort d'alcool et parvient à leur faire creuser un trou pour enterrer la vieille femme. La cérémonie se transforme en farce macabre, sous la présidence du bouc noire hérité de sa mère. En les regardant faire, Marie prémédite sa stratégie.

Harcelée par les mâles du village, après le meurtre de son bouc, la vengeance prend forme. Elle se prostitue pour une somme qui ne cesse d'augmenter. Incapables de résister à ses charmes, victimes de son chantage alors qu'elle menace de tout révéler à leurs épouses, les villageois sont contraints de payer… Elle les humilie en accordant gratuitement (ou presque) ses faveurs au projectionniste ambulant André, ou à l'ouvrier agricole espagnol Jesus. Gaston Duvalier lui propose le mariage, mais elle refuse toute relation avec lui. Peu à peu elle amasse à leurs dépens une petite fortune avec laquelle elle achète toutes sortes d'objets qui ne lui servent à rien sinon à narguer le village.

Ultime vengeance, elle finit par diffuser en pleine messe les confidences et médisances qu'elle a recueillies sur l'oreiller grâce à un magnétophone. L'hypocrisie et la mesquinerie des respectables paroissiens, et même celles du curé, apparaissent enfin au grand jour. Fous furieux, ils se ruent vers la cabane de Marie, mais arrivent trop tard : elle l'a incendiée avant de s'enfuir. Ils ne peuvent plus que saccager aveuglément son bric-à-brac, payé par leur argent.

Sans bagage et les pieds nus - mais avec son sac plein de billets, Marie prend la route de la liberté sur fond de campagne printanière. Après être passée devant une affiche d'André qui propose de projeter La fiancée du pirate [le film de sa vie], elle quitte définitivement le misérable village.

 


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