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Sources (*) : |
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CinéAnalyse : il faut que je te porte, au - delà de l'être | CinéAnalyse : il faut que je te porte, au - delà de l'être |
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Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page crée le 15 avril 2020 - |
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CinéAnalyse : la hantise d'un "avant" | Oncle Boonmee (Apichatpong Weerasethakul, 2010) - Il s'est souvenu d'autres vies et d'autres mondes qu'il a portés; un autre vivant surviendra, peut-être, pour les porter à nouveau |
CinéAnalyse : la hantise d'un "avant" |
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Le titre complet du film, Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives, laisse à penser que les différentes scènes présentées sont des souvenirs. Le film ne serait qu'un montage des vies antérieurs d'Oncle Boonmee. Peut-être le réalisateur voudrait-il nous le faire croire, mais ce n'est même pas sûr. Du point de vue du spectateur, les vies qui sont montrées pourraient être d'autres vies, les vies d'autres personnes, ou même d'autres films. Rien ne prouve que, dans ces archi-scènes, il s'agisse vraiment d'Oncle Boonmee. Les souvenirs pourraient appartenir à d'autres personnages qui reviendraient dans la mémoire du réalisateur, ou bien directement dans sa bobine. C'est le cas pour la toute première scène, avant le générique : un homme de l'ancien monde qui vient chercher son buffle dans une forêt. C'est aussi le cas pour la princesse qui trouve l'amour avec un poisson-chat dans un lac. Ces deux scènes n'ont aucun rapport évident avec Boonmee. On pourrait en dire autant de la scène de la grotte, même si Oncle Boonmee y figure en chair et en os. Ils partent dans la forêt la nuit, à la lumière d'une torche. Pourquoi faudrait-il mourir la nuit plutôt que le jour ? Pour une raison obscure, il faut que ce parcours se fasse dans la pénombre. On peut imaginer que le retour dans la grotte est aussi le retour dans le ventre maternel, d'ailleurs c'est ce qu'il dit. Mais il perd la vue au milieu du chemin, comme s'il ne s'agissait pas d'un voyage effectif, mais d'un rêve. Il croit savoir qu'il est né là, mais il ne peut pas se souvenir de quelle vie il s'agit. D'ailleurs il ne sait même plus s'il était un humain ou un animal, un garçon ou une fille. Il n'y a strictement rien dans ces scènes qui pourrait donner un véritable point de repère. La question du temps est tout aussi incertaine. Il y a vers la fin du rêve de la grotte une sorte de cordon ombilical au cours duquel la temporalité se déglingue. "La nuit dernière, j'ai rêvé du futur. Je suis arrivé dans une sorte de machine temporelle. Une cité future était gouvernée par une autorité capable de faire disparaître n'importe qui. [Images de jeunes hommes]. Quand ils ont trouvé des gens du passé, ils les ont éclairés avec des torches. [Un soldat dort dans la forêt]. Une lumière a projeté des images d'eux sur un écran depuis le passé, jusqu'à leur arrivée dans le futur. [Images d'archives de soldats dans la forêt]. Quand ces images sont apparues, ces gens du passé ont disparu. [Image d'une homme-singe et d'un soldat]. J'avais peur d'être capturé par les autorité, parce que j'avais beaucoup d'amis dans ce futur. Je me suis enfui, mais où que j'aille, ils me retrouvaient. [Des soldats posent avec l'homme-singe]. Ils m'ont demandé si je connaissais la route, ou cette route. Je leur ai répondu que je ne la connaissais pas. [Photo d'un jeune homme photographiant un garçon couché]. Et puis j'ai disparu. [Photo de traces circulaires dans la terre]. " Après cela sa femme retire le bouchon de la dialyse d'Oncle Boonmee et laisse le liquide s'écouler. L'image suivante est un long plan fixe, très contrasté, où son cadavre est partiellement au soleil et partiellement dans l'ombre. Les spectres ont disparu, il ne reste plus que Tong et Jen. Place au vivant. Le chiasme temporel fait penser à La Jetée (Chris Marker, 1963) ou à l'Armée des douze singes (Terry Gilliam, 1995). En ce cœur du film, passé, futur et présent se mélangent, les mondes sont à la fois séparés et communiquants. L'oncle Boonmee n'est plus l'oncle Boonmee. |
La princesse qui s'avance vers le poisson-chat, en recherche d'amour. Où se trouve l'oncle Boonmee dans cette scène ? Est-il la princesse, le poisson-chat ou le jeune serviteur ? Ou encore autre chose, la cascade peut-être ?
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Si toutes les frontières sont abolies, entre le passé et le présent, les vivants et les morts, le jour et la nuit, le rêve et la réalité, l'humain et l'animal, la raison et l'imagination, l'homme et la nature, l'onirique et le fictif, le récit et le hors-récit, etc., alors pourquoi y aurait-il encore une frontière entre le "je" et l'"autre"? Ne doivent-ils pas se mélanger eux aussi? Alors Oncle Boonmee ne se distinguerait plus des autres créatures montrées dans le film. Cette confusion expliquerait l'extraordinaire beauté des scènes de vies antérieures. Inouïes, aussi invisibles que visibles, ces scènes sont trop belles, exagérément belles. Elle n'ont aucune garantie d'existence. Ce sont des mondes perdus, détruits, comme le sera bientôt celui d'Oncle Boonmee. Die Welt ist fort, comme le disait Paul Celan, Le monde est défait, détruit. Déjà, de son vivant, Boonmie avait perdu son fils qui n'était relié à lui que par quelques photos. Il avait perdu sa femme qu'il aimait, et dont il allait perdre, en mourant, jusqu'au souvenir. Il avait perdu ses propriétés, ses employés, et il était sur le point de laisser partir vers d'autres horizons sa belle-sœur et son neveu, Tong. Il n'y a chez ces survivants ni chagrin pour le mort, ni tristesse, ni nostalgie, ni deuil. Ils prennent acte de la perte des mondes anciens, et se sentent libres de passer à autre chose. Il restera peut-être à la nouvelle génération des biens matériels, de l'argent, mais aucun affect, aucune culpabilité. Ils comptent leurs sous, regardent la télé, vont au restaurant, et pourraient bientôt avoir perdu jusqu'au nom de Boonmee. Et pourtant c'est un film autobiographique, un film de deuil. Le père de Apichatpong Weerasethakul, médecin, souffrait lui aussi d'insuffisance rénale. Le réalisateur peut voir revenir le corps de son père dans le corps de l'acteur. C'est un retour doux, tranquille, pacifique, qui entraîne avec lui d'autres souvenirs : des films de jeunesse, des bandes dessinées, des récits thaïs, des scènes de guerre, des conflits politiques. La logique de Apichatpong Weerasethakul, c'est que d'un côté ce qui a disparu a disparu pour de vrai, mais que malgré cette disparition effective, sous une autre figure, ça peut toujours revenir. Entre ce qui pourrait revenir dans le futur et ce qui est absent aujourd'hui, il n'y a pas de relation de causalité. Le retour dépend moins de la chose disparue que de la survenue de ce qu'on peut, à la suite de Paul Celan et de Jacques Derrida, nommer un porteur. Le porteur fait advenir un monde qui se présente comme ces scènes inouïes, inimaginables et si belles. A la première partie du vers de Paul Celan, Die Welt ist fort, s'ajoute la seconde, ich muss dich tragen. Nul ne sait si ce qui est porté renvoie à un premier souvenir, authentique (ou supposé tel), ou s'il s'agit d'une invention, d'une production imaginaire (de qui?). Nul ne sait qui aura été le porteur (animal, végétal, humain, minéral ou peut-être autre chose), mais le résultat est là : les scènes font événement, et on les attribue à l'Oncle Boonmee, comme si c'était lui qui s'en était souvenu ou les avait déjà vécues. Les jeunes d'aujourd'hui n'y pensent pas, ils n'ont que leur vie à vivre même s'il leur arrive parfois de se dédoubler. Les spectres qui étaient revenus à l'esprit d'Oncle Boonmee ont définitivement disparu; et pourtant Apichatpong Weerasethakul réussit à nous convaincre : quelque chose est porté par un porteur. Il y aura eu, avant Oncle Boonmee, quelque chose d'indéfinissable, inconnaissable, indescriptible, ininscriptible dans quelque succession temporelle déterminée que ce soit. Oncle Boonmee se sera peut-être souvenu de ce quelque chose qu'il aura ressenti comme l'une de ses vies antérieures. Le réalisateur en aura donné une figure, une interprétation, et en ce qui nous concerne, par notre participation de spectateurs, nous aurions dit oui à cette figure, sans rien y comprendre. Nous aurions cru au film, nous lui aurions fait confiance, nous lui aurions répondu. Peut-être aurons-nous été, nous-mêmes, ces porteurs qui auront donné au double désir d'Oncle Boonmee et de Apichatpong Weerasethakul une vie supplémentaire.
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Films CinemaChrono 2010.WE.ERA EthiqueOeuvreEL.LKD ArchiAimanceLG.KDF zm.Weerasethakul.2010 Rang = YWEERASEBoonmeeGenre = MH - NP |
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