![]() |
|||||||||||||||||
Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook | Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook |
TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | |||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||
![]() |
L'écranophile en voix off | L'écranophile en voix off |
![]() |
|||||||||||||||
Sources (*) : |
![]() |
CinéAnalyse : faire venir ce dont on ne peut rien dire | CinéAnalyse : faire venir ce dont on ne peut rien dire |
![]() |
||||||||||||||
Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Fait le 20 déc 2019 - |
Masculin Féminin (Jean-Luc Godard, 1966) : Comment mettre en scène la non-réponse de l'autre ? |
|||||||||||||||||
Pour l'acquérir, cliquez sur le livre
|
On interprète souvent ce film comme le témoignage d'une époque : la guerre du Vietnam, la campagne électorale de 1965, le début des trente glorieuses, les enfants de Marx et de Coca-Cola, la contraception, les chanteuses yé-yé, etc. C'est un film daté, tourné entre les deux tours d'une élection (De Gaulle - Mitterrand, entre le 5 et le 19 décembre 1965). Pourtant le film n'a rien d'une improvisation. Godard a mis plus d'un an pour le préparer, c'est lui qui a tout écrit, tout dialogué, tout fait pour réussir cet artefact : de jeunes acteurs-personnages donnant l'impression de jouer leur propre rôle et de se raconter au présent. Certes il tire parti des événements du jour, des décors naturels et de quelques détails qui ont pu survenir à ce moment-là. Mais le fait de ne dévoiler le script qu'au dernier moment est aussi un artefact. Cela ne retire rien à la dimension d'écriture du film. Que les garçons soient plus politiques, qu'ils interpellent des filles plus soucieuses de la vie courante, n'est pas le résultat de leur comportement spontané, c'est le résultat d'un choix de réalisateur dont les aphorismes et les insertions ne sont pas pus spontanés. Il ne s'agit donc pas de filmer le réel, mais de produire un cinéma du réel ou jugé comme tel. Certes on voit les rues parisiennes, les cafés, les brasseries, les vespasiennes, etc. Ce n'est pas un décor, c'est le photographie authentique. On voit aussi la chanteuse qui a fait la Une de Mademoiselle âge tendre, Chantal Goya et on a tendance à oublier qu'elle est là comme actrice et non pas comme chanteuse. Le film est double : une base documentaire (le cinéma du réel), et une écriture, une réécriture, un montage, pour ne pas dire une manipulation du réalisateur. Il s'agit pour lui de démontrer qu'un film, ça pense. Un film n'est pas fait pour raconter une histoire, mais pour penser, pour analyser. C'est aussi un film-essai, un film-enquête. (il s'agit toujours de brouiller les pistes). Godard avait l'impression que cette époque n'était plus la sienne. A l'interrogation principalement masculine, la réponse principalement féminine est évasive. Le questionneur commence par être sérieux (mais pas pour longtemps), tandis que le questionné s'arrange pour répondre sans répondre. --- mais ne sont pas fondamentalement différents d'elles. Les aphorismes de Godard ont le même statut que les bavardages des jeunes gens : ni clef, ni argumentaire, ils tombent comme des affirmations pures, sans justifications. Aussi sérieuses soient-elles, les conversations ne sont pas si différentes des chansons de Chantal Goya (la chanteuse yé-yé ). Elles tournent en boucle sur les mêmes thèmes. D'ailleurs tout le film est une boucle : pour les trois filles, la survenue de Paul dans leur appartement n'est qu'un passage. Après cette succession de suicides et une mort brutale, elles se retrouveront dans l'appartement, vivront leur vie et sortiront avec d'autres garçons. Tout tourne autour de Paul, sûr de lui et quelque peu provocateur (Il s'agit du premier film de Jean-Pierre Léaud après Les 400 coups, Truffaut, 1959). "Dans masculin, il y a masque et cul" dit Robert. "Et dans féminin?" demande Paul. "Il n'y a rien" répond Robert. Et pourtant sans ce rien au petit minois, il n'y aurait rien. [À noter que féminin est le dernier mot du titre et aussi le dernier mot du film, quoique tronqué : F....IN. Comme quoi il n'y a pas rien dans ce mot]. C'est le paradoxe du film et le désir du réalisateur, qui vient de rompre avec Anna Karina (détail biographique : Anna Karina était elle aussi enceinte au moment de la rupture, mais elle a perdu, sans avorter, l'enfant de Godard). Le sous-titre que j'attache à ce film est lui-même une question : Comment mettre en scène la non-réponse de l'autre ? Godard aura tout essayé pour concrétiser ce questionnement désespéré, il aura multiplié les fictions, les aphorismes et les suicides (mai 1968 aura été le point culminant de la théâtralisation). (Plus tard le groupe Vertov fera semblant d'apporter quelques réponses, auxquelles ni Godard ni ses personnages ne pouvaient raisonnablement croire). |
Le seul regard-caméra du film : Catherine-Isabelle Duport, qui joue Catherine-Isabelle.
![]()
On pourrait dire que Masculin Féminin est le Le Film des questions, par analogie avec Le Livre des Questions d'Edmond Jabès. Paul et son copain Robert ne cessent de questionner pendant tout le film. Ils questionnent ces jeunes filles, ces adolescentes de 19 ans, comme si elles pouvaient apporter une réponse. Les jeunes filles ne refusent pas de répondre mais elles n'ont pas grand-chose à dire, que des banalités qui ne les engagent à rien. Même quand elles sont sincères, il y a du rien dans leurs réponses. Elles ignorent qu'en disant "rien", elles font peser tout le poids de la théologie négative, mais ça ne les empêche ni de répondre, ni de questionner à leur tour. On sait que c'est Godard lui-même qui a interrogé les jeunes filles, et que ce questionnement n'est qu'un effet de montage. Le réalisateur ventriloque ces personnages qu'il prétend représenter, et pourtant ça produit un effet de vérité. Cet effet tient peut-être au côté film-essai, film-pensée, film-enquête, film-documentaire, mais il y a un au-delà de cette dimension. Godard ne s'interroge sur son époque que parce que son époque s'interroge déjà sur elle-même. Du point de vue des personnages, le questionnement allège d'un poids trop lourd. Il dispense de la question et aussi de la réponse. Les garçons ne craignent pas d'insister, ils sont crus, directs, sur les sujets les plus intimes. Ils appuient là où ça interroge le plus, au lieu du sexe, et même s'il le faut dans le vagin proprement dit. Elles pourraient se sentir violées mais apparemment non. Elles pourraient claquer la porte mais non, elles font ce qu'elles peuvent, elles essaient, et leurs réponses relancent les questions. En répondant de la façon la plus superficielle possible, on essaie de faire croire qu'il n'y a ni énigme ni secret. Godard invente des personnages qui n'ont ni passé ni secret, ce qui peut sembler sympathique mais conduit tout droit au suicide. Ce qui caractérise les filles, c'est qu'elles ne répondent pas, ou des réponses sans réponses. C'est peut-être pour ça que Paul est si triste, si sérieux, il ne s'amuse jamais. C'est la question de l'Abgrund, du sans fondement. Une génération du sans-fondement : les unes consomment, les autres s'approchent de l'abîme (déjà). Le privilège de la question sexuelle, c'est que c'est là que se loge préférentiellement la non-réponse. Godard est quelque chose comme ça : un artiste du sans-réponse. On n'a même pas besoin d'un Dieu pour que l'instance interrogée ne réponde pas. Dans un cas comme dans l'autre, sous le dialogue il y a l'écriture. On voit des textes, et les insertions écrites ne font que remplacer les cartels des films muets, une voix qui n'existe pas mais qui commande à l'image. Il y a à un moment, un seul, presque au milieu du film, un regard-caméra. C'est celui de Catherine-Isabelle, la fille qui aime Paul qui aime Madeleine. On ne sera pas surpris de voir que ce regard, tourné vers nous, est interrogatif. |
|
|||||||||||||||
|
||||||||||||||||||
Création
: Guilgal |
|
Idixa
|
|
||||||||||||
Films CinemaChrono 1966.GO.DAR CineRienEM.MLO zm.Godard.1966 Rang = ZGodardMascFemGenre = MH - NP |
|||||||||||||||