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Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page créée le 11 avril 2018

 

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CinéAnalyse : autohétérobiographies

Barbara (Mathieu Amalric, 2017) - Une hétérobiographie où, autour du secret préservé de l'autre, prolifèrent les autobiographies

CinéAnalyse : autohétérobiographies
   
   
   
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Un réalisateur (Mathieu Amalric) qui réalise un film qu'un autre réalisateur (Pierre Léon) avait envisagé et joue dans le film le rôle d'un réalisateur fictif dont le nom est Yves Zand, hérité de sa grand-mère maternelle (enterrée dans le carré juif du cimetière de Bagneux à côté de Barbara) réalisant un documentaire qui contient des extraits d'un autre documentaire (authentique celui-là, signé par Gérard Vergez en 1973, Barbara ou ma plus belle histoire d'amour) sur une chanteuse incarnée par une actrice (Jeanne Balibar dédoublée, dont le prénom dans le film est Brigitte) qui n'est autre que son ancienne épouse et la mère de ses enfants. Un fan qui fait semblant d'être émerveillé par une idole qu'il admire vraiment - et dont il aura toujours été secrètement amoureux. Une histoire où l'on ne raconte rien en particulier, ou presque rien, mais où l'on tente l'impossible : restituer, aussi fidèlement que possible, une ambiance. Une chanteuse qui fut une enfant cachée sous le nom de Monique Serf, une victime d'inceste qui a pris le prénom d'une de ses aïeules ukrainiennes, Varvara, une gamine solitaire, une artiste fantasque et imprévisible, qui réussit à transfigurer ses expériences dans des chansons que pour la plupart elle a écrites et composées. Un jeu complexe où l'on distingue mal le biopic des archives, le véritable appartement du studio, la voix de l'actrice de celle de la chanteuse, le faux nez du vrai nez, le tournage, le doublage, le mixage et les incrustations. La réincarnation d'un spectre plus réel que son imitatrice. Un vague érotisme plutôt sage où ce sont les hommes qui sont l'objet du désir. Tout se brouille, tout nous trompe, rien ne se raccorde, mais le film est bien là - d'ailleurs, il a eu le prix de la poésie du cinéma à Cannes, spécialement inventé pour lui.

"L'autobiographie de la femme, ça veut dire que par exemple mon autobiographie, l'autobiographie de quelqu'un qui apparemment a une écriture masculine est l'autobiographie d'une femme, vient de, c'est-à-dire que mon autobiographie se signe, jeu des pronoms, à partir justement de la destinataire qui signe : c'est la destinataire qui signe. Si je veux raconter ma vie, eh bien, c'est une destinataire, c'est un "je" marqué au féminin qui va signer et qui sera donc - je ne dirais pas l'auteur parce que le mot détruit tout immédiatement - mais qui sera le lieu depuis lequel quelque chose comme ma biographie, mon autobiographie sera signée. Autrement dit, ce ne sera naturellement pas une autobiographie mais une hétérobiographie au sens où l'on dit aussi bien hétérosexualité, etc." (Derrida, in L'oreille de l'autre, p108).

 

 

Ce film peut être l'occasion d'explorer le concept derridien d'hétérobiographie.

1. Il s'agit en principe d'un biopic de la chanteuse Barbara. Mais c'est un biopic très particulier qui ne raconte pas vraiment sa vie, et ne laisse deviner que très obliquement son secret, sa force intérieure. Barbara a légué au film son nom, ou plutôt son prénom qui était celui de sa grand-mère maternelle car elle-même se prénommait Monique - premier moment d'une série de substitutions. Le film est un montage où les temps et les voix se superposent. La vie de Barbara n'est pas racontée, il faut déjà la connaître pour repérer quelques détails.

2. L'absent du biopic qui n'est pas absent du film car il est toujours présent dans les chansons de Barbara, c'est le violeur, le père incestueux. C'est lui l'autre, l'heteros, sans lequel Barbara n'aurait pas existé comme telle.

3. Au nom de l'hétérobiographie, les autobiographies prolifèrent. Mathieu Amalric se raconte en jouant lui-même le rôle du réalisateur. Jeanne Balibar se raconte en jouant le rôle d'une comédienne (Brigitte) qui joue le rôle de Barbara, et en chantant à sa place. Pierre Michon se raconte en jouant le rôle de Jacques Tournier, amoureux de Barbara comme tout le monde. Comme aucun de ces personnages ne peut la porter, elle revient comme spectre. Le réalisateur souffre de mélancolie, de mal d'archive.

4. Le film joue sur les identifications : le réalisateur à un autre lui-même, Jeanne Balibar à la chanteuse. Mais on ne peut s'identifier à Barbara. Elle résiste, on ne peut ni l'incorporer, ni l'introjecter.

5. Il n'y a pas vraiment de récit, mais il y a beaucoup de fables qui se complètent et se contredisent à chaque prise de vue. Grâce à elles les archives cinématographiques se révèlent pour ce qu'ils sont, elles-mêmes des fables, tournées pour la plupart par un autre réalisateur, lui aussi énamouré, Gérard Vergès, qui aura intitulé son film daté de 1973 : "Barbara ou ma plus belle histoire d'amour".

5. Il y a une structure cachée du film, un autre ordre dissimulé : celui des chansons, qui sont présentées dans l'ordre chronologique. Quand elle chante, il lui arrive de nous regarder dans les yeux. Ce regard-caméra mystérieux nous implique, nous engage, sans nous dire à quoi (otobiographie).

6. C'est une histoire où l'on pleure beaucoup. Chaque chanson de Barbara est une éploration, une crise de larmes, qui met en scène sa propre mort. Je suis morte répète-t-elle, j'ai toujours été morte, depuis mon premier passage à Chateauroux, petite fille pourchassée par les nazis, depuis l'événement paternel. C'est ainsi que le film la montre, pleurant sa mort.

Hétérobiographie donc : le récit de la vie d'un autre qui engage les voyeurs à l'autobiographie. Mais la chanteuse reste inaccessible.

Yves Zand, un réalisateur (joué par Mathieu Amalric), prépare un film sur la chanteuse Barbara, jouée par Brigitte, une actrice (dont le rôle est joué par Jeanne Balibar). Le film commence par la voix acousmatique de Brigitte, puis on la voit composer chez elle, dans l'obscurité. Solitude de la chanteuse, dont le visage se détache à peine. Sa mère (qu'elle vouvoie) (la mère de Barbara) réclame de l'argent. L'actrice discute avec le réalisateur, qui pleure. Brigitte chante. Le réalisateur est très ému.

Dans le temps du tournage, la scripte écrit le scénario, puis tout le monde s'en va.

Puis c'est le temps du film, Barbara acclamée.

Puis c'est le temps du témoignage où l'on voit Jacques Tournier (le grand ami de Barbara qui a écrit une biographie), joué par l'écrivain Pierre Michon, raconter ses souvenirs au réalisateur énamouré.

On revient à Barbara : le temps du film se distingue mal du temps de l'archive. L'actrice, entourée d'écrans où l'image de la chanteuse est projetée, compose, tandis que le réalisateur poursuit son enquête. Photos d'époque, masque, reconstitutions, l'actrice dans les coulisses qui chante elle aussi, le réalisateur admiratif (de qui ? Brigitte ou Jeanne Balibar ?). Puis quelques images ou quelques rushes du film de Gérard Vergès (1973). Ils vont à Chateauroux, où elle a été cachée pendant la guerre - mais déjà ce n'est plus Barbara, c'est Jeanne Balibar. Ça touche à son intimité, il faut qu'elle se protège. Le film recompose, répète, réitère les images d'archives. Voici la scène où Barbara dit quelques mots de son enfance cachée à l'accordeur, qui s'en fiche. Emotion refoulée - comme s'il s'agissait d'une confidence normale, un simple souvenir d'enfance. En refabriquant la séance, le réalisateur fait appel de l'émotion. Il accentue le côté hystérique de Barbara, comme si la version filmée devait être plus convaincante, plus dure, plus sévère. Comme s'il s'adressait au spectateur pour qu'il soutienne un peu plus la chanteuse.

Et si le vrai thème du film était l'émotion du réalisateur ? Vous faites un film sur Barbara ou vous faites un film sur vous ? lui demande Brigitte, l'actrice, qui se joue elle-même, à moins qu'elle ne joue Jeanne Balibar ou Barbara. Pour l'accentuer, il aura repris le regard-caméra du reportage de Gérard Vergès : Nos plus belles amours sont des amours incestueuses... , et le bourreau, dont on n'ignore pas, aujourd'hui, qu'il est le violeur (son père). Au dernier souffle de ma vie, il ne prendra qu'un corps sans vie, le bourreau, le bourreau... Et si le réalisateur-bourreau ne prenait lui aussi qu'un corps sans vie ? Couché dans le jardin de pierre, je veux que tranquille il repose, je l'ai couché dessous les roses, mon père, mon père...

L'actrice apprend le scénario, elle le change, l'ajuste. Qui est-elle ? Elle joue Barbara qui arrête les tours de chant, fait des tentatives de suicide, va chanter dans les prisons, puis on revient aux images d'archive avec Franz, film que Jacques Brel aura réalisé en 1971 pour jouer avec (la vraie) Barbara. Le réalisateur propose à son tour à l'actrice de jouer dans ce film.

Problèmes d'argent : pour Barbara et pour le film. Problèmes de lieu : Barbara ne se stabilise nulle part. Problèmes de piano. Problèmes de studio. On la voit chanter (l'actrice), on la voit dire qu'elle n'est pas poète, qu'elle n'a pas d'imagination, qu'elle ne parle que d'elle-même. On voit le réalisateur passer d'un décor à l'autre. Comment raconter un film sans récit ? Elle chante, et c'est le réalisateur qui pleure, qui revient vers sa maison. Mais personne ne répond.

La dernière image du film est une image d'archive : couchée dans la voiture, elle essaie peut-être de dormir.

 


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