Derrida
Scripteur
Mode d'emploi
 
         
           
Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook

TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

Les collectes de l'Orloeuvre
   
     
CinéAnalyse : En disant oui à l'inconditionnel                     CinéAnalyse : En disant oui à l'inconditionnel
Sources (*) : L'écranophile en voix off               L'écranophile en voix off
Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page créée le 1er novembre 2016

 

-

CinéAnalyse: Un pas qui délie de toute dette

Dans le film de Barbara Loden (1970), Wanda, déliée de toute dette, reste paralysée au bord de l'inconditionnel

CinéAnalyse: Un pas qui délie de toute dette
   
   
   
Orlolivre : comment ne pas s'accommoder ? Orlolivre : comment ne pas s'accommoder ?
CinéAnalyse : en érigeant le principe de justice               CinéAnalyse : en érigeant le principe de justice    
                       

Pour l'acquérir, cliquez

sur le livre

logo

 

On pourrait prendre Wanda pour un personnage quelconque - c'est bien ainsi que la voient ceux qui la croisent. Mais le film montre autre chose : une série de décisions qui l'éloignent de toute normalité. Il aura fallu pour cela qu'elle renonce à la vie familiale, puis qu'elle rencontre ce personnage affecté par la même maladie, la même indifférence aux règles usuelles de fonctionnement du monde. C'est ce qui les rapproche, c'est ce qui constitue entre eux un lien indéfectible. Monsieur Dennis, comme elle l'appelle, n'a de dette à l'égard de personne, à l'exception peut-être de son père. Alors qu'elle abandonne sans hésiter sa mère, sa sœur, son mari et ses enfants, il fait la route pour voir son père, l'aider, il voudrait lui rendre quelque chose. Mais le père n'est pas dupe de l'origine sordide de son argent, il voudrait un fils honnête, comme lui. Il refuse. A partir de là, Dennis et Wanda commencent à former une sorte de couple, tous deux dans la même galère, celle de ceux qui n'ont rien à perdre car ils n'ont jamais accepté aucun héritage.

Nul ne sait d'où vient ce détachement. Il est rare, improbable. Il ne s'agit pas d'un désir de s'abandonner ou de se perdre, comme on le dit parfois, mais d'un désir de vivre sans condition, c'est-à-dire sans se soumettre à aucune réciprocité, aucune morale, sans accepter aucun engagement ni compromis qui pourraient restaurer le monde usuel. Elle a entendu une voix qui lui disait : Pars!, et c'est cette voix qu'elle écoute. S'il y avait une autre voix, digne d'être entendue, elle hésiterait, mais il n'y en a pas.

Wanda est comme l'Abraham biblique. Elle quitte sa famille, son mari, ses enfants, sans savoir où elle va. Tout se passe comme si elle avait été appelée, mais par qui? Dennis se transforme peu à peu en ange-gardien maléfique, qui la menace mais ne la chasse pas. Il y a entre eux une complicité, une sorte de confiance, comme s'il savait dès le départ qu'elle ne le trahirait pas, qu'elle ne pourrait pas le trahir.

Dans le livre-film presque contemporain d'Elia Kazan, L'Arrangement (1967-69), Eddie quitte lui aussi sa famille, sa femme, sa fille, sous la conduite d'un ange, féminin celui-là, nommé Gwen, un nom qui consonne avec Wanda. Lui aussi répond à une voix invisible, inaudible, qui lui commande la rupture. Or à cette époque, l'épouse légitime de Kazan n'était autre que Barbara Loden. Comment interpréter ce chiasme étrange?

A la fin du film, la dernière image est celle du visage de Wanda à l'arrêt, comme s'il n'y avait pas d'avenir, pas de continuation possible. Pas de devoir, pas de dette, pas de restitution, pas de culpabilité, donc pas d'autre perspective que le pur présent : manger, fumer, boire. Ce film sans religion ne fait espérer aucun salut. Dennis est mort, et Wanda se retrouve au même point. Au milieu du film, le père de Dennis l'avait entraîné dans les catacombes, où un prêtre racontait l'histoire des martyrs de la religion catholique. On célèbre les martyrs, mais Dennis et Wanda ne peuvent être célébrés qu'au cinéma.

C'est un film féminin, un des premiers et des plus importants films féministes, où Barbara Loden s'implique trois fois, en tant que femme, actrice et réalisatrice. Quel rapport cela a-t-il avec l'inconditionnalité? Refuser sa condition, pour elle, ce n'est pas aller d'une place à une autre, d'une position à une autre dans la société, c'est refuser toute place possible, c'est choisir l'impossible.

 

 

Ce film a reçu le prix de la critique au festival de Venise en 1970, il a été projeté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 1971 puis il est sorti en France avec retard, en 1975, et encore en 1982 (grâce notamment à Marguerite Duras), puis en 2003, grâce à Isabelle Huppert qui a racheté les droits en 2005. C'est devenu un film-culte, comme on dit, sur lequel Nathalie Léger a écrit un supplément en 2012 - et pourtant on en parle rarement. C'est un film peu cité, que la cinéphilie américaine a ignoré jusqu'aux années 2000. Une fois vu, il ne vous lâche pas, il vous marque, peut-être à cause de la mort prématurée de Barbara Loden en 1980, d'un cancer du sein, à l'âge de 48 ans. Bien que le film soit inspiré d'un fait divers, elle a reconnu sa dimension autobiographique. N'a-t-elle pas quitté ses grands-parents maternels, qui l'élevaient à la suite du divorce de ses parents, à l'âge de 16 ans, puis été pin-up, mannequin et danseuse avant de devenir actrice, n'a-t-elle pas divorcé une fois avant de se marier à Elia Kazan, qui avait 33 ans de plus qu'elle? N'a-t-elle pas joué le rôle de Marilyn Monroe, en 1964, dans une pièce d'Arthur Miller intitulée Après la chute? Elle aussi a été mère de deux fils - dont Kazan s'est occupé pendant la réalisation du film. Presque tout ce qu'on sait d'elle vient des récits des hommes : son mari Elia Kazan, le photographe Nicholas Proferes et des témoins qui l'ont connue lorsqu'elle enseignait le théâtre. Elle a écrit quelques scénarios, sans jamais réussir à les réaliser. Elle n'aura pas laissé d'autre trace que ce film-testament, ce film unique.

Comme elle l'explique dans son livre, Supplément à la vie de Barbara Loden (2012), Nathalie Léger a suivi ses traces sur les lieux de tournage du film. Elle a cherché dans les archives et par miracle elle a retrouvé la coupure du presse du Sunday Daily News qui raconte, le 27 mars 1960, l'histoire d'Alma Malone, dont Barbara Loden s'est inspirée. On retrouve dans ce fait divers à peu près l'histoire de braquage raté du film, avec un Monsieur Ansley à la place de Monsieur Dennis. Condamnée à 20 ans de prison, Alma Malone a remercié le juge pour cette condamnation, elle en a fait dix puis elle a disparu des radars. Barbara Loden a préféré arrêter le film avant cette condamnation. Alma aura payé sa dette, mais Wanda restera toujours, jusqu'à la fin des temps, sans dette, hors dette.

Wanda Goronski, mariée à un mineur de Pennsylvanie et mère de deux enfants, passe ses journées affalée sur le divan de sa sœur (ou sa mère). Elle arrive en retard au tribunal où on prononce son divorce, à la demande de son mari - qui pourtant ne semble pas un mauvais bougre. Trop lente pour travailler à l'usine, elle quitte mari et enfants. Elle erre dans la ville, passe une nuit avec un homme qui l'abandonne, puis se fait voler le peu d'argent qui lui reste dans un cinéma. Allant aux toilettes dans un bar, elle est abordée par un homme qu'elle prend pour le serveur. Mais cet homme, Norman Dennis, est un braqueur de banques. Il l'entraîne dans sa fuite sur les routes américaines. Elle a peur de lui, elle devine qui il est, mais le suit quand même en l'appelant "M. Dennis". Il est violent, il se sert d'elle, mais elle lui obéit. Il tente de convaincre un complice pour un nouveau braquage. Ça ne marche pas, ils continuent. Il semble à court d'argent, vole à chaque station. Leur point commun, c'est qu'ils n'ont rien. Sans point d'attache, ils ne sont même pas des citoyens. Pour la société, ils sont quasiment morts. "Je ne vaux rien" (just no good) dit-elle. Pour qu'elle soit plus sexy, il remplace son pantalon par une jupe, il vole vêtements et voitures, elle accepte tout. Le seul lien qui reste à Dennis, c'est son père. Ils lui rendent visite, mais c'est dans des sortes de catacombes qu'ils discutent [il s'agit en réalité d'une sorte de parc d'attraction, Holy Land, situé à Waterbury, dans le Connecticut]. Le père aurait voulu un fils normal, qui travaille tous les jours, il refuse l'argent sale de son fils. Dennis promet, mais en lui-même il prépare son prochain coup, avec pour complice Wanda déguisée en femme enceinte. Elle est dégoûtée, mais obéit encore. Dans la maison du directeur de la banque centrale, elle fait ouvrir la porte, il prend en otages les filles, se rend au coffre avec le père. Wanda, arrêtée par un policier, perd sa trace. De toutes façons le coup de Dennis était trop ambitieux, il ne pouvait pas réussir, c'était une sorte de suicide. Alerte donnée, il est abattu. Plus attachée à lui qu'à son ancien mari, elle est triste. Elle n'a plus qu'à partir. Seule à nouveau, un homme tente de la violer. Elle se sauve, court dans les bois. Le film se termine avec Wanda dans un bar où des étrangers font la fête, ils lui donnent de la nourriture, de l'alcool et des cigarettes. Elle boit, elle mange, elle fume, et le film s'arrête sur son visage immobile.

 


Recherche dans les pages indexées d'Idixa par Google
 
   
 
 

 

 

   
 
     
 
                               
Création : Guilgal

 

 
Idixa

Marque déposée

INPI 07 3 547 007

 

Films
IncondOeuvrer

DE.KDE

CinemaChrono

1970.LO.DEN

FilmsPasAudela

CG.KDF

ArchiOeuvreDecons

AB.LKJ

IncondEpar

GW.LLK

zm.Loden.1970

Rang = QWandaLoden
Genre = MH - NP