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Ozzy Gorgo - "L'écranophile", Ed : Guilgal, 1988-2019, Page créée le 17 juin 2014

 

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L'écranophile en voix off

Dans "Bird People" (film de Pascale Ferran, 2014), le moineau est la figure médiatrice qui invite à se transformer - en-deça de toute décision et au-delà de toute souveraineté

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C'est l'histoire de deux personnes qui semblent, au début du film, prises au hasard dans une foule. Il y a Gary, ingénieur américain qui passe sa vie entre deux avions et trois missions urgentes; et Audrey, jeune étudiante qui passe l'essentiel de son temps à gagner sa pitance comme femme de ménage au Hilton de Roissy. Rien de commun entre eux, sauf un couloir d'hôtel, une chambre et... quelques animaux. Un moineau qui apparaît à Audrey, au bord du train qui la mène au travail, et un chat qui passe devant Gary, la nuit, dans un moment décisif [petit détail : un peu plus tard dans le film, le chat essaiera de manger l'oiseau].

Mais voici que quelque chose d'étrange leur arrive, à chacun d'entre eux, sans qu'ils l'aient prévu. Gary prend une décision, ou plus exactement, une décision se prend en lui. Elle arrive d'un coup, pendant la nuit, à l'occasion d'une crise d'angoisse : une expérience qu'il n'avait jamais vécue jusqu'alors. Il sait que cette décision est irrévocable, définitive, qu'il ne reviendra jamais en arrière. Il n'en peut plus, ne supporte plus ni sa vie, ni son boulot, ni sa femme, ni sa maison. Il ne peut plus continuer. Il faut qu'il arrête, qu'il fasse autre chose, qu'il reste en Europe. Il achète une carte routière et vise un endroit, vers les Pyrénées, un peu au hasard. Le voici enfin capable de faire quelques pas dans l'aéroport, sans but.

A elle, il arrive une chose encore plus stupéfiante. Vers la fin d'une journée de travail exténuante, l'électricité tombe en panne. Que peut-elle faire sinon sortir? Elle voit une porte ouverte, arrive sur un balcon, et soudain, sans raison ni préméditation, elle se transforme en moineau. La voici qui vole, tourne autour de l'hôtel, pénètre dans l'aéroport, se perche quelque part et revient. La voici affamée qui va picorer dans une assiette et, chose étrange, quelqu'un la remarque : un dessinateur japonais qui ne semble pas surpris de la voir. Il la dessine, elle prend des postures, ils semblent dialoguer. Puis elle repart, fait un autre tour et revient. Normalement, la panne étant terminée, elle devrait reprendre son travail, mais quand elle veut redevenir femme, elle n'y arrive pas. Décidément, la transmutation est une chose qui ne se décide pas, qui dépend de facteurs inconnus. C'est seulement en présence du dessinateur japonais, sur le balcon, qu'elle reprend sa forme humaine.

On ne parle ni avec les femmes de ménage, ni avec les moineaux; et c'est à peine si on les voit, les uns comme les autres. C'est leur point commun, et c'est ce point qui permet la transformabilité de l'un en l'autre. Qu'est-ce que ce moineau? Une extériorité, une puissance de transformation. Il vous libère et en même temps s'empare de vous. Il vous permet de vous envoler et en même temps vous enferme dans son corps (à lui). Vous arrivez à voler, mais vous n'arriverez jamais à le cerner complètement. Il reste étranger, unheimlich.

Le film se termine par une poignée de mains entre Gary et Audrey. Quelle est la signification de ce geste? On ne peut pas dire que ce soit la rencontre, car la rencontre a déjà eu lieu, indépendamment de leur volonté. Après la rencontre, il faut se saluer (la scène du trottoir roulant), sceller une alliance (la poignée de mains). Quelle alliance? L'alliance secrète, inconnue d'eux-mêmes, de ceux qui ont traversé l'impossible.

 

 

Selon Pascal Ferran (dans les Cahiers du Cinéma, n°701), cette histoire est une fable, une fable contemporaine. On y trouve tout un bestiaire : un chat (deux fois : une pour avertir Gary et l'autre pour s'attaquer au moineau), un hibou (encore une agression), un poisson [son grand-père emmenait Gary à la pêche. Après avoir lancé ses lignes en Amérique, il a l'impression que, enfin, ça mord]. Mais l'animal le plus important, bien sûr, est le moineau. Pourquoi un être humain doit-il en passer par un animal, devenir-animal, pour se tranformer? Il semble que cette nécessité soit liée au processus de décision. Pour l'un comme pour l'autre, il est question d'un basculement qui échappe à tout calcul. Se faire animal, c'est renoncer à son "je" courant, quotidien, c'est prendre ses distances avec ses modes de fonctionnement habituels, c'est s'exposer à l'irrationnel, l'incontrôlable, l'illogique. La femme-moineau n'est plus souveraine d'elle-même. Hybride, elle n'est plus identique à elle. Les barrières usuelles s'effacent et ouvrent la porte à toutes sortes de comparaisons ou d'analogies. Je sais que je ne suis pas un moineau, mais cela ne m'empêche pas d'agir "comme" un moineau, de fonctionner "comme si" je l'étais. Et si je suis à la fois femme et moineau, je peux être femme et beaucoup d'autres choses, femme et une foule de choses imprévues. Ce qui m'arrive est inimaginable et incroyable : mes capacités de métamorphose sont illimitées. S'autoriser le "comme", le "comme si", c'est mettre en question tous les cadres dans lesquels je vivais.

Le moineau devenu Audrey reste quand même un moineau. C'est elle qui s'animalise, plus que lui ne s'humanise. Il vole, il est attiré par les miettes, il panique quand il se trouve dans une pièce close, il se sent mieux dehors que dedans. C'est une figure médiatrice, une allégorie réelle qui ne reconduit pas nécessairement à l'humain. Seul cet être peut faire d'une femme de ménage l'interlocutrice des clients, une complice, une amie.

C'est Pascale Ferran qui utilise le mot "hybride" à propos de ce film. Ce mot est, dit-elle, la base de tout. Tourner à plusieurs caméras un scénario composite, fait de blocs distincts (la séquence du RER, la séquence Skype, l'hôtel Hilton, l'aéroport de Dubaï, l'oiseau, les Etats-Unis) et pour chaque bloc définir un dispositif particulier, dans un style spécifique mi-naturaliste mi-fantastique, c'est porter l'hybride à l'exponentiel.

Interrogée sur le choix du titre, "Bird People", Pascale Ferran se réfère au film de Jacques Tourneur, "Cat People" (1942), qui raconte l'histoire d'Irena, une femme qui se perçoit elle-même comme hybride à la fois femme et chat (ou plus exactement femme/leopard). Elle croit qu'une malédiction pèse sur elle comme elle a pesé sur sa mère : si un homme l'embrasse, elle se transformera en léopard et le tuera. Elle se marie avec un homme qu'elle aime, mais, pour le protéger de cette malédiction, elle refuse tout contact. Déçu et désespéré, l'homme finit par la quitter. Dans la scène finale du film, c'est son psychiatre qui voudra l'embrasser, et elle le tuera. Cette autre fable, plus cruelle que celle de "Bird People", révèle peut-être la scène inconsciente qui gouverne le film. La jeune et innocente Audrey porterait-elle au fond d'elle-même une puissance d'exapropriation incontrôlée, un pouvoir maléfique? Serait-elle le vecteur d'une force souterraine qui écarterait les hommes de leur "propre" épouse, de leur cheminement "normal"?

Il a fallu, pour montrer ce petit oiseau qui semble si naturel dans le film, un énorme travail de prise de vue et d'effets spéciaux. Le grand art de la mise en scène, c'est de rendre cette technique invisible. Ce film n'est pas de ceux qui exhibent leur technique, il est de ceux qui nous donnent l'immense plaisir d'oublier la technique.

Quelle est la fonction du long prologue qui commence à la gare St Lazare et se termine à l'aéroport Charles de Gaulle? Prouver (par les chairs filmées, les regards rêveurs, les gestes interrogatifs), que chacune de ces personnes, chacune sans exception, pourrait vivre la même expérience que Gary et Audrey. Il pourrait arriver en chacun d'entre eux qu'une décision se prenne, avec ou sans crise d'angoisse; et tous pourraient, sans l'avoir anticipé le moins du monde, se faire moineaux.

Critique de Télérama, signée par Jacques Morice, à l'occasion de la sorte du film le 4 juin 2014 :

Un ingénieur américain, de passage à Paris pour affaires, revient à son hôtel, à Roissy, d’où il s’apprête à repartir le lendemain. Mais, après une crise d’angoisse carabinée, il décide de rompre avec son existence. Cette brutalité, Pascale Ferran la montre plein cadre, à travers la scène de rupture sur Skype (avec l’épouse, aux Etats-Unis), extrêmement forte. Pleine de coups de griffes, de rancune, de fatigue nerveuse et de chagrin. « Je ne supporte plus cet état de guerre permanent », lâche Gary. Cette réplique s’accompagne d’un renversement de perspective : comme si, d’un coup, en disant stop, il esquissait une révolution anthropologique.

Décoller très haut dans l’imaginaire tout en rendant compte d’un quotidien écrasant, voilà le défi. En parallèle à la crise de Gary, Pascale Ferran met en scène un autre personnage, une jeune étudiante (Anaïs Demoustier, insolite, angélique) qui travaille comme femme de chambre dans l’hôtel où se trouve l’Américain. La caméra accompagne ses déplacements, en lui donnant une ­allure de ballet permanent… Ce que tente Pascale Ferran est très périlleux, mais elle triomphe des difficultés avec une grâce mêlée de généro­sité. Mutation, réincarnation, renaissance. Du ­jamais-vu surgit à l’écran. C’est dans sa totalité que le film nous bluffe, dans sa manière de faire zigzaguer le récit, de combiner réalisme et merveilleux, de saisir le monde globalisé et des miettes au ras du bitume.

 


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